Il suffit d’un regard. Apercevant la nuit déposer son voile sombre sur Johnson Creek, je m’efforçais d’oublier ; D’oublier celui que j’étais devenu, oublier mon père ainsi que mon pauvre frère. Tant d’années en leur compagnie, tant d’années où j’ai pu sourire à leurs phrases idiotes, à leurs regards qui en disaient long. Mes yeux se baissent, sans que je ne me rende compte. Certaines fois, je voudrais mettre cette part de méchanceté à côté, et peut-être montrer que je ne suis pas celui qu’on croit vraiment. Qu’importe. Je pousse un long soupir, avant de faire un sourire en coin. J’étais considéré comme un « salaud », une personne irrespectueuse, sans cœur. Les dires de ces gens n’étaient donc pas réfléchis ? N’ont-ils jamais pensé qu’il y avait une raison à cette nouvelle personnalité ? Je préfère soupirer, à nouveau, au lieu de me poser la question.

Me levant de mon misérable lit, je gagne la salle de bain, avec lassitude. Toujours aussi minuscule, je vois certains de mes vêtements qui lèchent le sol depuis, sûrement, quelques jours. Grimaçant, le tube de mon dentifrice est toujours ouvert. J’oublie le miroir cassé en coin, j’oublie mon œuvre ; Là encore, il ne suffit pas d’un simple regard. Une manie, une colère, quelque chose qui arrive subitement. On ne sait où se défouler, se délivrer de cette haine qui nous ronge jusqu’aux os, alors, on choisit. Le hasard choisit. Ici, pour finir sur ce malheureux miroir. En voyant toutes ces fissures, je me disais que je n’étais quelqu’un de normal. Est-ce que j’avais raison ? Je pouvais voir qui j’étais vraiment. En plus d’être un pur « salaud », j’étais dangereux. Vive Octave, n’est-ce pas ? Retirant mon tee-shirt, ainsi que mon short, je m’aventure sous l’eau chaude, me brûlant la peau. Les minutes passent, et je reste les yeux fermés. Les gouttes brûlantes caressent mes cheveux, ma nuque. Je crois que je ne vais pas bien, je crois que je me sens seul. Je n’ai comme compagnie, mon caractère de chien, et les demoiselles qui osent défiler les unes après les autres. Triste histoire, triste histoire.

Passant mes deux mains sur mon visage, j’en ai assez. Arrêtant l’eau, je finis par sortir, faisant attention de ne pas tomber. Une serviette s’enroule autour de mon corps, et je pris le soin de m’essuyer correctement. J’enfile un caleçon long, et … Rien d’autre. J’étais fatigué, et dans ma petite tête, personne n’irait me déranger. Du moins, c’Est-ce que je pensais. Je m’approche de mon lit, prenant mon ordinateur.

Un bruit de porte - ce bruit qui nous transperce - rompt un silence angoissant. J’étais sûr que c’était une demoiselle. Mon appartement était familier pour la plupart des personnes. Assis au fond de mon lit, l’ordinateur en face de moi, je distingue l’ombre de celle-ci. L’ombre que je connaissais de plus en plus. Elle s’appelait Teyana. Sublime personnage. Je l’ai rencontrée, il y a maintenant presque un mois, dans un endroit banal. Un mois déjà, et sans paraitre déplacé, elle connaissait les moindres parcelles de mon corps. Et moi, de les siennes. En y pensant, je ne peux que sourire, et pourtant ; Je fronce les sourcils, me demandant la raison de sa venue. Notre dernière rencontre date d’une semaine, et j’avais satisfait mon plaisir. « Je ne savais pas que je t’étais indispensable, joli cœur … » Elle m’entendait, alors, je n’hésite pas à hausser le ton de ma voix. Jetant un coup d’œil sur ma droite, je me rends compte qu’on approche de minuit. Je me lève, finalement, m’adossant contre le mur. Elle ne peut me voir, du moins, pour l’instant. J’ai pour spectacle, un ciel étoilé. Mon regard s’y perd avant que je ne lâche ces derniers mots. « Je t’ai manqué, peut-être ? … » Ces derniers mots chargés d’ironie. Malheureusement.

Non pas dans les étoiles, mais à présent, mon regard se perd sur l’écran de mon ordinateur. Moins intéressant, moins sympathique. Ma page Facebook devant mes yeux, réseau social que je trouve désespérément inutile. J’ai beau regarder les photos de certains ou m’aventurer dans des coins qui me sont inconnus, je ne sais que faire. J’ai envie d’arrêter la machine, mais mon instinct me contredit. J’étais fatigué, mais je n’avais la malheureuse envie de dormir. Du moins, pour l’instant. J’étais comme pris d’un ennui, d’un ennui si douloureux qui incite les personnes à faire des choses que l’on accepte, que l’on voudrait. Ma dose se trouvant déjà dans mon sang, je ne peux en prendre davantage. Sortir et attirer une demoiselle vers moi, je ne voulais. La motivation n’était pas présente, tout simplement. Celle-ci allait augmenter - considérablement - après que la fille ait passé le seuil de ma porte.

Teyana. Celle-ci se trouve derrière moi. Je ne la vois peut-être pas, mais je le sens. Je la sens. Intuition évidente, sûrement. Quelques instants avant, je lui demande si je lui étais indispensable. Il était vrai que derrière mes propos se cachait une certaine ironie, une certaine plaisanterie. Cela était toujours ainsi. Je ne pouvais y changer, elle non plus. J’accentue ces défauts en posant une dernière question ; Si je lui avais manqué. Pour moi, notre relation n’était basée que sur le sexe. Je prends mon pied, à chaque reprise, et cela se terminait à ce point, à cette limite. Elle ? J’ai toujours eu l’impression qu’elle pensait comme moi. Et si je me trompais ? Qu’importe. « Bien-sûr que tu m’as manqué, Octave. » Ses premiers mots, des mots qui résonnent dans ma tête. Je détache mon regard de l’écran pour tourner la tête dans sa direction. Le ton de sa voix était différent, je suis intrigué. Passant une main dans mes cheveux encore mouillés, je finis par me lever et de me mettre face à elle. Je devais passer pour un idiot, vêtu d’un simple caleçon. Je souris, réfléchissant à mon apparence. Mes yeux lèchent ses courbes féminines, évitant de rater le moindre détail. Je pose ceux-ci dans les siens avant de prendre un air sérieux. Cet air qui semblait malsain, dangereux. Je m’approche d’elle, faisant alors quelques pas, m’emparant de sa mâchoire où je dépose de longs baisers. Il n’y pas de douceur, aucune. La scène pouvait paraitre comme violente. Je m‘accroche, ensuite, à ses lèvres à la limite du respect, à la limite du passable. Je crois qu’elle devait savoir qu’est-ce qui pouvait se passer, ici, maintenant, à l’instant présent. Je n’étais pas quelqu’un de fréquentable. Non, pas du tout. Je fronce les sourcils, me dégageant d’elle. « Est-ce donc la raison de ta venue ? »

Je lui jette un dernier regard, m’approchant de la fenêtre. La nuit était tombée, le calme régnait. J’allume une petite lampe, se trouvant dans le coin de la pièce où nous nous trouvons. « Je t’en prie, Teyana. » Quelques pas. Encore. Je retire le manteau couvrant ses épaules, passant mes mains sur ses bras. « Je suis surpris de ta visite. Ça me laisse légèrement … Perplexe. »

Debout devant cette porte et face à ce lit, je me suis alors demandé ce que j'étais bien venue faire ici. Il était évident qu'Octave avait envie de rester seul. Quoique... Ce petit air mystérieux et ironique, il l'avait toujours gardé, et cela depuis que je l'avais rencontré. Je pense que cela faisait partie de lui, qu'il avait toujours été comme cela, alors je ne me posais plus trop de questions après y avoir réfléchis. J'avais tout de même peur de le déranger. Bizarre était ce sentiment. J'en avais pourtant jamais rien à faire de déranger qui que ce soit, mais avec Octave, c'était différent. J'agissais bizarrement depuis notre rencontre, et cela m'effrayait. Des sentiments d'amour naissants, peut-être ? Non, je ne pouvais pas. Je n'étais encore jamais tombée amoureuse depuis celui qui avait réussi à me briser le cœur. J'y étais attachée, à ce salaud, puis il avait tout détruit. Depuis ce jour, je refuse de montrer quelconque sentiment que je peux ressentir par rapport à quelqu'un. J'en avais bien trop peur. La souffrance me terrorisait, elle me poursuivait, je le savais. C'est pour cette raison que face à Octave, je pouvais me sentir légèrement gênée, horriblement gênée même. Je me suis mordu la lèvre inférieure tout en passant une main dans mes cheveux. Je ne savais pas ce qui m'arrivait, mais j'allais laisser le temps passer, j'allais tout faire pour essayer de repousser de toutes mes forces cet attachement si particulier.

Il s'est approché, et j'ai senti cette pompe qu'on appelle le cœur doubler la rapidité de ses battements. Sa main est venue se poser sur mon visage, et j'ai vu ses lèvres de plus près. Un baiser ici, puis là, mes bras s'enroulant autour de sa nuque. Puis, il y a eu cet air. Cet air menaçant, cet air chasseur et dangereux. J'avais peur. Mais j'adorais la sensation que cela procurait. J'aimais cette peur, ce regard. J'adorais ces genres dominants, presque trop même.
« Est-ce donc la raison de ta venue ? » J'ai souris. Le genre de petit sourire idiot qu'importe la situation, le genre de sourire que vous esquisser quand vous vous sentez bien. Il s'est éloigné. Je ne savais plus vraiment quoi répondre. Je ne savais pas moi même la raison de ma venue. C'était sur un coup de tête que j'avais pris cette décision, bien que j'en avais eu envie depuis quelques jours déjà. Qu'est-ce que je faisais là, dans cet appartement qui abritait l'extrême silence ? « Et si je te répondais par oui, rejetterais-tu ce minuscule signe d'affection ? » J'avais peur de l'effrayer. Je le sentais, qu'il n'était pas du genre à s'attacher. Je ne l'étais pas non plus, d'ailleurs. Je ne vivais que de sexe et d'alcool fort. Mais c'était si différent. Un coup de foudre, peut-être. Une passade, sûrement. Oui, cela s'en-ira, certainement...
Il a alors retiré mon manteau, en effleurant délicatement ma peau. J'ai frissonné. J'ai toujours été sensible aux caresses. « Je suis surpris de ta visite. Ça me laisse légèrement … Perplexe. » Je l'étais de même, Octave. J'avais évidemment rien à faire dans cette chambre, mais pourtant, j'y étais. « Tu préfères que je m'en aille, peut-être ? Oh, et puis, non. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour repartir. J'avais juste besoin d'un peu de compagnie, tu sais... » J'avais presque honte de ces paroles. Je ne me reconnaissais pas, ce n'était pas moi. Je n'ai jamais eu besoin d'une moindre compagnie, j'ai toujours été très bien toute seule, sauf que c'était comme si je n'avais pu me contrôler, comme si mes jambes m'avaient portées jusqu'à son appartement sans que je puisse m'y défendre. Non, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait... Bonjour, je m'appelle Teyana et je suis perdue entre mon cœur et ma raison. Mais je n'avais pas le droit d'en parler. Je me suis simplement contenter de prendre place sur son lit.

Je n’avais rien entendu ; Même pas une once de grincements, de craquements. Cette demoiselle était rentrée, sans prévenir qui que ce soit. Elle avait bien fait, elle avait peut-être du courage. Une légère pensée, et je peux sourire ; Ce plissement au niveau de mes lèvres pour cet acte de bravoure, devais-je la récompenser ? Je lui ai manquée, éventuelle raison de sa venue. Secouant la tête, je m’étais levé pour venir l’embrasser. Cela, instinctivement. Cela, durement. J’en avais conscience, même un peu trop. J’étais peut-être un salaud, mais j’avais quelque chose en plus que les autres. Ce quelque chose qui plaisait peut-être à cette jolie demoiselle, face à moi ? Mon corps agissait, mais pas ma tête. Je ne contrôle rien, plus rien. Du moins, avec la brune. Cependant, cette tête me faire dire des choses ; Des choses que je regrette plus ou moins. Je soupire, me dégageant de la fille. Teyana ne m’avait rien fait ; Elle n’avait pas peur, pas froid aux yeux. Je le pensais, du moins. Elle ne me parle jamais d’elle, comme je ne parle jamais de moi. Notre relation est basée sur le sexe, et reste des plus mystérieuses. On ne se connait pas, mis à part une chose : Nos corps, ne faisant plus qu’un.

Je m’approche de la fenêtre, je lui lance ce dernier regard interrogateur. En plus d’attendre une soirée qui change de l’ordinaire - de mon ordinaire - j’attendais une réponse des plus précises. Étant donné que j’avais posé cette question, peut-être gênante, je tenais vraiment à le savoir. Personne n’était venu ici, auparavant. Même si l’on peut éprouver un manque, je trouve cela idiot voire même, irresponsable. Dangereux serait le mot. Oui, je pense. J’allume cette lampe sur mon chevet, et me mets à l’écouter. « Et si je te répondais par oui, rejetterais-tu ce minuscule signe d'affection ? » J’hausse un sourcil, me demandant pourquoi. J’aurai tant aimé lui dire qu’il fallait ne pas répondre à une question par une question. C’était interdit, surtout, ici. Pourquoi ne pas faire pareil ? « Pourquoi ferai-je cela ? Puis-je te demander pourquoi il serait possible que je rejette ce malheureux signe et quelle est l’origine de cette question ? » À toi, Teyana. Je veux savoir. Parle.

« Tu préfères que je m'en aille, peut-être ? Oh, et puis, non. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour repartir. J'avais juste besoin d'un peu de compagnie, tu sais... » Alors qu’elle parlait inutilement, je ne faisais que la fixer. Après lui avoir avoué que sa visite me surprenait, je compris , alors, qu’elle avait besoin de compagnie. Je lève un sourcil, perplexe ; Teyana prit place sur le lit, me donnant de fièvres idées. Je baisse les yeux pour finalement, avancer de quelques pas et de faire, en sorte, à ce qu’elle s’allonge sur le matelas. Un petit sourire joueur sur mes lèvres, je me trouve sur elle, sans toucher la moindre parcelle de sa peau. La jaugeant avec envie, je plonge mon regard dans le sien. « Tu crois que je suis de bonne compagnie, Teyana ? » J’avais pensé que mon baiser avait été assez compréhensif pour lui rappeler que je n’étais quelqu’un de bien, de correct, de stable. Apparemment, cela n’était assez. Peut-être aimait-elle cela ? Peut-être étais-je son genre ? Mensonges. Cela était impossible, on ne pouvait s’attacher à l’être que j’étais. « Et en venant ici, qu’espères-tu ? » Je lève, à nouveau, un sourcil avant d’approcher mon visage du sien. Mon visage, encore humide, en disait long ; Impassible, ôté d’une quelconque expression. Le bout de ma langue caressa ses lèvres avant d’aventurer les miennes dans sa nuque. Je n’avais pas spécialement le désir de coucher avec elle. Comme dit, ce soir était étrangement différent. J’attendais autre chose, même si mes gestes ne suivaient pas mon souhait ; L’une de mes mains souleva délicatement le corps de la jeune fille afin qu’il soit contre le mien. Cela, une fois de plus.

Je n'allais pas bien. Non. Mon moral était au plus bas, mon cœur, lui, saignait à ne plus cesser. Pourtant, j'essayais comme je le pouvais de ne pas le montrer. Je n'étais pas le genre à toujours ouvrir mon cœur, tout cela par peur. La peur de l'incompréhension, du rejet de ce que j'étais. Ma carapace de jeune femme pourrie gâtée, méchante, sans pitié et sans cœur, qui boit et se drogue, cette carapace-là me permettait de me protéger du regard jugeur des autres, un regard qui pourrait me rabaisser jusqu'au sol si j'y prêtais vraiment attention. J'ai d'ailleurs toujours eu l'impression de vivre à travers l'idée qu'ils se faisaient de moi. Certes, je m'étais forgée ma propre personnalité, mon caractère, mais ce que pensaient les autres de moi m'importait énormément. Un problème, oui... Je m'y focalisais beaucoup trop.
Je n'allais pas bien, mais à peine avais-je passer le pas de la porte de son appartement qu'une partie de moi s'était remise en état. À la simple vue de son si beau visage, au moindre petit son de sa jolie voix, puis ses merveilleux yeux. Des yeux vitreux, cependant, et qui avaient perdu tout leur éclat. Son regard était aussi mystérieux que lui, que son caractère et cette personnalité si impassible.

Il s'est éloigné une nouvelle fois, laissant un peu de répit aux battements de mon cœur qui s'étaient accélérés à une vitesse incroyable. Moi, je ne quittais pas sa silhouette amaigrie qui se trouvait dans mon champ de vision. Je le trouvais d'une beauté extrême. Chaque partie de son corps me rendait folle, me faisait disjoncter. Et bien qu'il n'avait rien de spécial, lui il avait cette chose qui me faisait l'adorer, cette chose qui lui apportait l'exception que je lui accordais.
Il s'est retourné et il a allumé sa lampe de chevet. J'étais assise sur son lit, les mains bras derrière moi en m'agrippant aux couvertures pour me retenir de glisser en arrière. « Pourquoi ferai-je cela ? Puis-je te demander pourquoi il serait possible que je rejette ce malheureux signe et quelle est l’origine de cette question ? » Des questions, des questions. Franche comme je l'étais, il m'était néanmoins pas possible à présent de lui dire la vérité. Je me suis contentée de lui répondre simplement, en espérant qu'il n'allait pas essayer de comprendre, puisque je ne me comprenais pas moi-même. « Oublie ce que je t'ai demandé. Nous ne nous ressemblons pas, c'est tout... » Mes paroles semblaient sinistres et vides de sens, mais pourtant, derrière elles se cachait un bon nombre d'explications que je ne pourrais cependant pas détailler. Étranges, ces impressions de savoir sans même savoir. Il aurait certainement pu remarquer mon désespoir dans mes quelques mots et ma façon de parler, mais encore faudrait-il que cela puisse le toucher. Je me repassais en boucle la scène de l'accident... Le visage de mon père qui s'était perdu sur le guidon, ma mère, à côté de lui, en sang et pleurant comme jamais je n'ai pu l'entendre pleurer. Puis il y a eu moi, assise à l'arrière, ce qui a d'ailleurs fait en sorte que je ne sois pas trop atteinte... Du moins, physiquement. Mentalement, j'en mourais. Ces cris, ces pleurs, et la vision de ce sang rouge foncé qui me niquait les yeux... Aujourd'hui, c'était des larmes que je tenais secrets au fond de moi.
J'ai plongé mes yeux marrons dans ceux d'Octave. À cette heure-ci, il était le seul qui puisse m'aider, le seul qui pouvait me sortir de cette nouvelle détresse, et même s'il ne s'en rendait pas compte, même s'il pensait que je n'étais qu'une de ces femmes qui voulaient profiter de son corps puis s'en aller, il se trompait. Moi, c'était plus que cela. J'aurais aimé le remercier d'être ici, présent avec moi, et Dieu seul savait que je ne n'étais pas le genre à remercier qui que ce soit...

Il s'est approché de moi, et en s'avançant de sorte que je me couche, il s'est retrouvé au dessus de mon corps. Je le voyais bien, son sourire coquin, joueur. Pourtant, je restais là, allongée sur le dos à observer les moindres détails de son visage, comme si j'étais hypnotisée. « Tu crois que je suis de bonne compagnie, Teyana ? Et en venant ici, qu’espères-tu ? » Ce que j'espère ? De la douceur, de jolis mots... Et dans ce cas, je savais que je n'étais pas au bon endroit pour cela. J'ai haussé les épaules et j'ai ramené ma bouche jusqu'à son oreille. « Pour les autres, peut-être pas, mais pour moi, tu l'es, Octave... »
J'aurais pu goûter une nouvelle fois à la délicatesse de ses lèvres, mais quand il a essayé de m'embrasser une seconde fois, j'ai tourné la tête pour éviter ses baisers. Il avait dû remarquer que je n'agissais pas comme tous les soirs. Il a alors passé ses mains dans mon dos en me relevant légèrement afin de me retrouver contre son torse nu. Je n'allais pas bien. Nous étions différents, ce soir... Il voulait que nos deux corps se mélangent, moi, je voulais de l'affection et de l'amour...

Je n’aurai jamais pensé que la vie était si difficile. Un passé nous hante ; On souhaite qu’il reste derrière, à jamais. Cela est impossible ; Le temps passe, mais les souvenirs restent. On y peut rien, on encaisse. Aujourd’hui, je peux dire que la vie n’est un fleuve tranquille. Une citation fausse, et généreuse en matière de rêves. Je voudrais oublier, et ainsi, m’oublier par la même occasion. Qu’est-ce que je fais ? Je suis fou. Je suis con. Je suis fou, et je resterai con.

N’acceptant pas le fait qu’elle réponde à ma question par une autre, j’ai inutilement fait la même chose. Dans les miennes se cachaient de nombreuses réponses, je tenais à ce qu’elle développe. Je voulais l’entendre, que sa voix résonne dans ma tête. Cela, encore et encore. Cela m’était impossible puisqu’on ne pouvait me parler. On se retient, on a peur. On pourrait croire que je m’en fiche alors que finalement, c’est le contraire. J’ai toujours apprécié écouter, en savoir davantage sur les gens, leur propre vie. Sans pour autant parler de moi-même. « Oublie ce que je t'ai demandé. Nous ne nous ressemblons pas, c'est tout ... » Je la regarde, froidement ; Ses paroles semblaient confuses, incohérentes. Jamais, elle n’avait parlé ainsi. J’hausse un sourcil, la fixant péniblement. « Comment peux-tu en être aussi sûre ? » Je me mordille la lèvre inférieure, essayant de comprendre à cette problématique. « Qui te dit que nous sommes différents ? Tu m’excuseras mais, je ne compte pas oublier. » Elle plonge son regard noisette dans le mien. « Explique. »

Se trouvant au-dessous de moi, je pouvais l’observer ; Elle me parut différente, perdue comme je l’étais moi-même. Aussi étrange soit la situation, je ne savais que faire. Ce que je trouve le mieux, pourtant ? Il s’agit de lui demander si j’étais, vraiment, une bonne compagnie. Il fallait savoir que non, que c’était faux. Personne ne sait de quoi je suis capable, personne ne sait à quoi je pense, personne ne sait qui je suis, exactement. Je ne suis qu’un vulgaire inconnu aux yeux de tous ; Un inconnu qui profite des autres, sauf exceptions. Un inconnu qui ne vit que pour son propre plaisir, et que par son ironie malveillante. Un inconnu qu’on traite de tous les noms, un inconnu qui ne souhaite que du mal. Ammené à me décrire ainsi, je ne connais pas. Je ne me reconnais plus. Discrètement, je secoue la tête afin que je me retrouve au présent. Dans ce putain de présent. Teyana, me regardant, finit par hausser les épaules et d’approcher mon visage du mien pour qu’elle m’y murmure quelques mots. « Pour les autres, peut-être pas, mais pour moi, tu l'es, Octave ... » Mes yeux la fixent, moi, je reste ébahi par ce qu’elle venait de dire. La première, la toute première fois que j‘entends une telle phrase, une telle sincérité. Je ne pouvais pas accepter ces mots, je ne pouvais pas accepter les paroles de la demoiselle. C’était trop, c’était faux. Mes lèvres veulent embrasser les siennes, une nouvelle fois, mais elle refuse. Mon corps s’arrête, mon corps se bloque. Cela, instinctivement. Je retire ma main de son dos, la ramenant vers moi. Fronçant les sourcils, je me dégage de Teyana, m’allongeant à ses côtés. Mes bras se posent sur ma tête, cachant mon visage. Je n’ai pas honte, je n’ai plus envie, tout simplement. « Tu l’as remarqué, Teyana. Regarde ce que tu as en face de toi. » Je soupire, fermant mes paupières lourdes. « Je ne t’apporte rien de bon. » Je voudrais lui demander de partir, elle me faisait comprendre qui j’étais vraiment. Et, malheureusement, je m’assumais. « Va-t-en. »

L'atmosphère avait l'air tendue et moi, je détestais cela. Tout était si différent que les autres fois, rien n'était comme d'habitude. D'abord, il y avait mon comportement. Je n'étais pas la même, je ne me reconnaissais pas. C'était comme si, ce soir, j'avais envie de dévoiler tout ce qui me pesait sur la conscience, comme si j'étais dans l'obligation de me confier mais que personne n'était là pour moi, pour nous écouter moi et mes problèmes. Et j'en souffrais horriblement.

Qu'est-ce que je faisais ici, alors, couchée sur ce lit, à plonger mon regard gênée dans celui d'Octave ? Il m'avait toujours fait comprendre qu'il ne voulait rien savoir de moi. Qu'il ne voulait rien savoir de personne. Mais peut-être jouait-il un jeu ? Je ne voulais pas tenter. Je ne voulais pas me faire rejeter parce que j'essayerais en vain de lui parler. Je n'oserais pas. Lui, il voulait du sexe, et rien d'autre ne l'intéresserait plus que cela. Non, je ne dirai rien ce soir. Plus maintenant...
Car j'ai fait l'erreur de lui avouer que nous étions différents. Il voulait comprendre, il persistait à savoir ce que je cachais derrière ces mots. La façon dont il me regardait maintenant était froide, j'avais l'impression qu'il éprouvait une certaine haine envers moi, mais pourtant, je me persuadais du contraire parce qu'il avait en fait toujours agi de cette manière. « Pourquoi est-ce que tu veux tellement savoir, Octave ? Qu'est-ce que cela ferait si nous étions réellement totalement différents ? Qu'est-ce que cela changerait ? Rien du tout, je suppose. Alors s'il te plaît, n'y pense plus, d'accord ? » Et comme si je n'en avais pas déjà assez fait, j'ai passé ma main sur sa joue avec une grande délicatesse.

Oui, j'aimais la compagnie d'Octave. Il me comblait. C'était comme si tout ce dont j'avais besoin dans la vie, je le retrouvais en lui. Jamais auparavant je n'avais rencontré un homme tel qu'il est. Je me sentais tellement proche de lui, sans même l'être. Je ne le connaissais pas. Nous connaissions tous les deux chacune des parcelles du corps de l'autre, mais cela n'allait plus loin. Mais j'avais ces impressions de le connaître depuis déjà longtemps. Je me sentais tellement bien avec lui, je n'éprouvais pas même une quelconque gêne... Sauf peut-être cette soirée-là. Il m'intimidait. Néanmoins, la raison de cette timidité qui me prenait ce soir était certaine : j'étais blessée, abîmée, mais malgré cela, je restais honnête. Mes quelques mots avaient d'ailleurs l'air de le surprendre. Il n'y croyait pas, alors ? Il s'est dégagé d'au-dessus de mon corps et il s'est installé à côté de moi en ramenant ses doigts sur sa tête. Moi, je suis restée immobile, mes mains posées sur mon ventre, observant le plafond. « Tu l’as remarqué, Teyana. Regarde ce que tu as en face de toi. Je ne t’apporte rien de bon. » Aussi désemparée que je l'étais, mes yeux ont commencé à piquer. J'ai tourné la tête, puis je l'ai regardé dans le blanc des yeux. « Tu ne m'apportes rien de bon ? Octave, tu m'apportes tout ce dont j'ai besoin. » Voilà, c'était dit. Il allait encore une fois me demander des explications. « Va-t-en. » J'ai dégluti. Mes yeux se sont écarquillés, je ne pouvais pas croire ce qu'il voulait que je fasse. « Quoi ? Tu plaisantes ? Je refuse. » Je me suis redressée, en m'adossant contre le mur, assise sur le matelas. « Il t'en faudra beaucoup plus pour pouvoir te débarrasser de moi. Crois-moi. Je ne partirai pas. » Je résistais, mais j'avais envie de fondre en larmes. J'avais désormais peur. Peur de l'abandon, peur de la vie sans lui.

Elle m’a demandé d’oublier, chose impossible. Excuse-moi, la belle ; Mais, le fait d’oublier m’est impossible, impensable. La plupart des gens n’ont que de vagues souvenirs de leur passé, par exemple, ou je ne sais. Moi, je peux tout retenir ; Et jamais, je n’oublierai, que cela me soit important ou non. Je lui pose des questions, elles sont nombreuses. Je veux savoir ; La soirée était étrange, et je devais en savoir la misérable raison. « Pourquoi est-ce que tu veux tellement savoir, Octave ? Qu'est-ce que cela ferait si nous étions réellement totalement différents ? Qu'est-ce que cela changerait ? Rien du tout, je suppose. Alors s'il te plaît, n'y pense plus, d'accord ? » Sa main passe sur ma joue, j’éprouve une certaine rancœur. Gardant ce même air impassible, je ne fais que la fixer. « Les gens ont, certaines fois, besoin à avoir des réponses à leurs questions. Questions qui paraissent incessantes, et nombreuses. Celles-ci provoquent un mal de tête, ou même, un mal-être constant. » Je cesse tout, je ne veux en dire davantage ; que Teyana réfléchisse et qu’elle éprouve ce que je ressens.

♠

Je laisse tomber, je m’allonge à ses côtés. J’en avais assez ; C’était la première fois qu’on refusait mes avances, mes gestes qui semblent si déplacés. Teyana était l’une des premières, et je remarquais qu’elle était différente. Rares, dans ma vie, ont été les filles à me tourner le dos. Je pouvais mal le prendre, c’est vrai. Mais, ce ne fut pas le cas ; Cette demoiselle, allongée près de moi, remontait dans mon estime. Peu à peu, mais sûrement. Je ne la regarde pas, je ne demande qu’une chose : Qu’elle parte, qu’elle sorte de ma chambre. Je lui avoue que je ne lui apportais rien de bon. En y réfléchissant, il serait mieux qu’on ne se voit plus. Qui pourrait supporter quelqu’un comme moi, dans sa vie ? Mis à part Matteus ou Georgia, eux, ce n’était pas la même chose. À penser à ceux-ci, je ne pus m’empêcher de sourire. « Tu ne m'apportes rien de bon ? Octave, tu m'apportes tout ce dont j'ai besoin. » Mensonge. Un nouveau. Je les collectionne. Je secoue la tête, laissant mes bras sur celle-ci. « Arrête, je te remercie. Moi, je n’ai besoin d’entendre de tels mensonges à mon sujet. Cela ne m‘intéresse pas. » Je soupire, les yeux fermés. « En quoi je te rends heureuse, Teyana ? En quoi ?! » Je laisse un léger blanc, ne comprenant ces sottises. « Tu sais comment je suis, tu sais comment je pense. Je te respecte pas, je ne te mérite pas. Tu vaux beaucoup mieux, crois-moi. » Mes pensées étant dites, je lui demande de s’en aller. Elle parut surprise d’après ses paroles. Je reste impassible, comme endormi. « Quoi ? Tu plaisantes ? Je refuse. Il t'en faudra beaucoup plus pour pouvoir te débarrasser de moi. Crois-moi. Je ne partirai pas. » Je me redresse, m’asseyant finalement ; Mes mains posées sur mon visage, je ne savais pas quoi répondre. Qu’est-ce qu’elle voulait ? Que je m’énerve, que je ne me contrôle plus ? Un long soupir s’échappe de ma bouche, signe de mon exaspération. « Ce n’est pas une plaisanterie, Teyana. Peux-tu t’en aller, s’il te plait ? À quoi cela te sert de rester, ici ? Qu’est-ce que tu attends ? » J’hausse mes deux sourcils, me tournant légèrement vers la récalcitrante. Je la fixe, elle a l’air d’avoir peur. J’avais tout gagné, j’en avais marre. Teyana est assise, en étant adossée au mur. « Tu vas rester là, à ne rien faire ? Tu vas me regarder, pendant que le temps passe ? Là non plus, cela ne m’intéresse pas. Tu ne réponds pas à mes questions, fais donc un effort. Je pense que cela m’aiderait. » Du moins, un peu plus. Je soupire, me levant. Je me dirige vers la commode, sortant un sachet de poudre. La fille est derrière moi, elle ne me voit pas. Elle ne me jugera pas, et si elle ne réponds pas, il fallait autant que je m’occupe. Prenant une carte, soigneusement, je me prépare un long rail. Putain de vie.